En 2002, Yves Burdelot publia le livre « Devenir humain » où il
s’était posé la question si l’on pouvait encore penser le christianisme,
confronté aux valeurs et aux attitudes contemporaines. Face à elles, la
proposition chrétienne ne peut revendiquer ni privilège ni dispense sauf à se
vouer elle‐même au musée des idées mortes. Et aucun parapet doctrinal ne
permet au croyant, s’il se veut de son temps, d’esquiver la question. Yves
Burdelot, en tant que membre du mouvement Jonas, a influencé la réflexion de la
Fédération des Réseaux du Parvis. Il affirme que pour le christianisme,
l’attitude religieuse devrait être seconde par rapport à son souci d’humanité.
Cette hiérarchisation est difficile à faire entrer dans la réalité et la
tentation de mettre le religieux au premier plan et d’en faire le point de
départ est constante.
Et là, la critique de l’évasion dans le religieux est facile. Cela
ne signifie pas que le croyant doive renier sa foi, mais par sa façon d’être et
d’agir, il se doit de montrer que sa première préoccupation est son ouverture
et sa solidarité vis‐à‐vis de tout être humain, sans se soucier de son appartenance à
telle ou telle communauté de croyants ou de non croyants. C’est ce que
découvrent les chrétiens qui militent pour les droits de l’homme. Dans un
premier temps, ils se « convertissent » aux droits de l'homme par devoir de
solidarité, mais ils comprennent vite, au fil de leur engagement, que ce sont
en fait les droits de l'homme qui les convertissent, qui leur font découvrir ou
redécouvrir le christianisme. Telle est par exemple la conception de Caritas et
son conflit avec la hiérarchie catholique provient du fait que cette dernière
considère que le premier but d’un mouvement caritatif catholique est
d’évangéliser et si possible même faire de nouveaux membres. La tentation
existe aussi de préférer se réfugier dans la dévotion, le ritualisme et donc fuir
la réalité plutôt que de privilégier la relation humaine. Ne confond‐on pas souvent
foi et religion ?
Dans l’attitude religieuse, l’homme veut se faire valoir devant
Dieu. La religion devient ainsi une initiative, une action de l'homme sur Dieu
en vue de provoquer une réaction de Dieu, si possible favorable et utile à
l'homme. Ce qui compte, c’est l’obligation de se soumettre à un certain
ritualisme, à vouloir se justifier devant Dieu Et parce que l'homme est faible
et que le Puissant est exigeant, voilà que s'accumule le péché, cette action de
l'homme qui provoque la réaction menaçante de Dieu. Avec le péché monte aussi
la peur et l'angoissante tentative, jamais achevée, de payer pour le passé, de
gonfler la valeur des sacrifices, pour pouvoir un jour, peut‐être, satisfaire
aux exigences du Puissant. La religion, considérée dans ce sens, aliène donc
l’homme et ne peut en aucun cas être une bonne nouvelle pour l’humanisation du
monde.
D’un autre côté, si croyants ou non, nous cherchons à nous
humaniser, à créer un contexte favorable pour que chacun puisse échapper à la
part d’inhumain qui nous guette, nous créons un contexte favorable au bonheur.
Et de ce côté une coïncidence forte est possible entre les demandes profondes
de notre culture sécularisée et l’affirmation chrétienne. Notre époque
s’interroge sur les conditions qui permettraient à chaque personne d’être
réellement libre, en ne prenant
plus pour base ni la domination, ni le conformisme, ni l’effacement des
singularités ou des divergences. Et là, la foi en un Dieu qui fait valoir
l’homme sans aucune considération de mérite ou de démérite, qui nous aime en
premier, sans condition, tels que nous sommes et où il n’est nul besoin de
vouloir l’amadouer pour qu’il daigne enfin nous écouter et nous accorder ses
faveurs, est un stimulant pour nous tourner vers les autres. Dans une société
sécularisée la référence chrétienne se joint à la référence humaniste mais sans
annuler celle‐ci, ni s’y substituer. Notre comportement doit pouvoir se nourrir
non seulement d’une motivation humaniste commune, mais aussi de toutes les
motivations spirituelles qui peuvent l’enrichir et lui donner force. Une vision
authentique de la collaboration entre des mouvements d’approches diverses
devrait se faire en approfondissant ensemble leur vision et leur compréhension
de la dignité humaine.
Lorsqu’à l’occasion des JMJ, l’Eglise catholique affirme vouloir
accorder une indulgence plénière à tous les participants, elle se situe à mille
lieux de la réflexion qui vient d’être développée, privilégiant le religieux à
la démarche de foi et aux chemins d’humanisation. Or l’Eglise est au service de
l’Evangile, elle a pour mission de l’annoncer, non de s’annoncer elle‐même. La société
moderne s’est détachée de la religion, elle n’en a plus besoin. Elle est en
quête d’humanité, permettant à chaque personne d’être réellement libre et
créatrice à partir de sa singularité propre, de développer des relations
interindividuelles sur pied d’égalité en s’intégrant dans des collectifs où
chacun, bénéficiant de l’apport de tous, devrait pouvoir jouer un rôle
responsable et solidaire.
Georges Heichelbech