Le
numéro précédent posait la question : humaniser le monde est-il un projet
accessible, tant sont puissantes les forces de domination, d'aliénation et de
destruction qui y sont à l’œuvre ? Il interrogeait la capacité des religions –
et plus largement des diverses formes de spiritualités - qui sont porteuses,
au-delà de leurs particularismes, d’une même foi en la vie et en l'être humain
à concourir à cette humanisation. Ce dossier s’inscrit dans la continuité ; il
traite de la démocratie en tant que régime politique organisant notre vivre
ensemble : la façon dont s’exerce le pouvoir contribue en effet à rendre le
monde plus ou moins humain.
Démocratie
: entre aspiration et épuisement (Lucette Bottinelli et Lucienne
Gouguenheim). De façon apparemment contradictoire nous assistons d’un côté à
des processus révolutionnaires dans le monde arabe qui chassent des régimes
dictatoriaux et témoignent d’une aspiration à la démocratie – sans avoir jusqu’ici
réussi à en jeter les bases – et de l’autre côté à un réel essoufflement des
régimes qualifiés de démocraties, par la perte de confiance des administrés
dans leurs dirigeants. Le recours au processus électoral ne permet à lui seul
ni d’instaurer ni de faire fonctionner une démocratie.
De
la source athénienne à la démocratie universelle (Jean-Bernard
Jolly). L'origine de la démocratie est athénienne : étymologiquement, la
démocratie est « le pouvoir au peuple ». Dans la démocratie grecque,
l’ensemble des citoyens d’une cité (les athéniens) décide des lois et
réglemente la façon dont le pouvoir politique est exercé. Mais l'empire
athénien s'est construit en « convertissant » à la démocratie les cités
alliées. L'établissement de la démocratie par la force, alors qu'elle est
pensée comme le gouvernement du peuple, est un précédent dont les conséquences
pèsent encore sur une démocratie devenue idéal universel.
Idéaux
démocratiques et dérives impérialistes (Jean-Marie Kohler). Il ne saurait y avoir
de véritable démocratie lorsque le bien commun qui unit les hommes est foulé
aux pieds au profit d’intérêts particuliers, lorsque les pratiques d’une
nation, en son sein ou à l’extérieur, sont en contradiction avec les idéaux
qu’elle proclame. Les trois exemples de la Françafrique, de l’ultranationalisme
israélien et de l’hégémonie américaine illustrent cette ambiguïté.
Des
citoyens lanceurs d’alertes, guetteurs d’apocalypses ? (Françoise
Gaudeul). Des hommes bravent tous les risques pour privilégier l’intérêt général
à l’exclusion de tout intérêt personnel. Ce sont les lanceurs d’alertes, les
grands désobéissants de notre époque, qui révèlent dérives ou abus de pouvoir.
Formation,
médias et démocratie (Georges Heichelbech). Quel que soit le
système éducatif, est-il possible de donner la même chance à tous les
individus, quelle que soit leur origine sociale ? Les médias tout en étant
fondamentaux pour la démocratie sont-ils toujours une chance ou sont-ils
parfois un obstacle pour elle ? Jouent-ils toujours un rôle d’information
et non parfois un rôle de désinformation ?
La
démocratie cognitive et la réforme de la pensée (Edgar Morin). On dit que les réseaux et
l’intégration numérique nous ont fait entrer dans « l’économie et la
société de l’information ». Que les savoirs deviennent une sorte de
matière première qui circule et s’échange dans le monde entier. Edgar Morin
expose la difficulté qu’il y a en fait à atteindre ce à quoi vise la «
démocratie cognitive » : la capacité de chacun et de la collectivité
à faire des choix d’avenir et orienter son destin.
Démocratie
en Europe (Lucienne
Gouguenheim). L’idée d’une solidarité entre des peuples européens libres, égaux
et épris de démocratie, qui empêcherait l’émergence de nouveaux affrontements
dévastateurs, a constitué un idéal très fort à la sortie de la seconde guerre
mondiale. En sont issus le Conseil de l’Europe, qui veille à l’application de
la Convention européenne des droits de l’homme, et l’Union européenne qui
suscite aujourd’hui un rejet croissant et apparaît comme un véritable cas
d’école de dysfonctionnement de la démocratie.
L’Eglise
catholique au défi de la démocratie (Jean-Paul Blatz). La réforme de notre
Eglise, voire sa reconstruction, ne peut émaner que de sa base, c'est-à-dire du
peuple (de Dieu), des femmes et des hommes égaux (comme filles et fils de Dieu
par le baptême et sa confirmation dans l'Esprit). Cette démocratie, instituée
par le baptême, doit se vivre concrètement dans toutes les structures
nécessaires au bon fonctionnement de l'Eglise.
Un enjeu politique : nouer
des relations fécondes entre Démocratie et Spiritualité (Jean-Baptiste de Foucauld).
Les démocraties, pour s’accomplir pleinement, ont besoin d’une sorte d’énergie
spirituelle interne. Les religions et les spiritualités doivent, symétriquement,
opérer une révolution copernicienne d’acceptation et même de valorisation des
démocraties. Les terrains d’exercices pour réussir cette rencontre existent.
Lucienne Gouguenheim